Questions à l'auteur

 

1. De très nombreux commentaires de l'Apocalypse ont été écrits et publiés depuis presque 2000 ans. Ils nous ont apporté bien des éclaircissements sur ce texte mystérieux. Pourtant, on n'y trouve pas de véritables réponses aux grandes énigmes de l'Apocalypse. Et en fait, j'ai l'impression que l'on tourne un peu en rond ... Or, avec votre commentaire, "Les grandes énigmes de l'Apocalypse", qui paraît chez Salvator, on a véritablement le sentiment qu'un pas a été franchi. Non seulement vous apportez des solutions claires à toutes les grandes énigmes énoncées par st Jean, mais en plus vous nous faites paraître son texte clair, comme "évident", et même lumineux : comment avez-vous fait ? Que s'est-il passé ?

 C’est justement la situation que vous évoquez qui m’a fortement interpellé. Était-il vraiment impossible de percer à jour le sens profond des symboles johanniques ? Et comme je n’avais pas moi-même la réponse à cette question, j’ai demandé au Seigneur de me faire entrer dans la contemplation des grandes vérités qu’Il avait Lui-même inspirées à st Jean. Voilà pour la démarche d’ensemble !

 Pour ce qui concerne le particulier, il s’est agi pour moi bien sûr, tout au long des années, d’une profonde méditation des symboles bibliques. Jean, en effet, est incroyablement familier de l’Ancien Testament. Et pour le suivre, il faut soi-même bien connaître l’ensemble de la Bible. La seconde étape consistait à entrer dans la pensée johannique elle-même.

 

2. Justement, existe-t-il dans ce texte de Jean des innovations théologiques par rapport à l'Ancien et au Nouveau Testament ?

 Oui bien sûr ! Une grande innovation théologique propre à Jean est la mise en relation de la révolte angélique avec le projet de l’Incarnation du Verbe. Je m'explique. La révolte des anges est antérieure à la création des hommes. Le projet d’Incarnation du Verbe, c'est un projet d'alliance entre Dieu et les hommes ; et cela va bien plus loin que l’alliance qui existait jusqu'alors entre Dieu et les anges. Dès lors, on comprend que c'est l’immense orgueil de Lucifer, et sa jalousie, qui furent le point de départ de la révolte des anges contre la souveraineté divine.

 Pensons encore à la figure de Babylone. Elle apparaît pour la première fois dans le texte de la Genèse comme le symbole d’une humanité qui veut accéder par ses propres forces à la vie éternelle. C'est la fameuse Tour de Babel (Gn 11). Il s’agissait d’un projet fou qui consistait à ramener la transcendance au niveau terrestre. Ainsi, l’espèce (l’humanité en général) devenait l’idole qui allait transcender l’individu ... C'est alors que Dieu a réagi, dissipant l’illusion qui unissait les premiers hommes dans leur projet commun. Mais Jean va plus loin que l’Ancien Testament : il nous montre que derrière le projet de Babylone se cache une fois encore le Démon ; le Démon et sa révolte contre Dieu.

 

 3. Babylone, qui est la représentation, l'image de notre monde ... Babylone a été détruite par celui-là même qui l'avait créée. C'est  tout simplement effrayant, non ? ...

 C'est tout l'art, et l'originalité, de st Jean que de nous faire pénétrer profondément dans la contemplation du mystère du mal. Et l'on comprend que ce mystère du mal, c'est un mystère d’infécondité et de division. Il nous montre comment Dieu sait utiliser ses propres adversaires pour réaliser Ses desseins. Ainsi, Il ne refuse ni au Diable ni aux hommes l’exercice de la souveraineté sur la terre. Seulement voilà, le Diable, parce qu'il n'est pas Dieu, ne parvient pas à rendre définitif ce qui, par essence, est de l’ordre du passager. La liberté humaine ne peut être indéfiniment captivée par une religion qui se fonde sur l’orgueil, le luxe, et les plaisirs (comme c'est le cas de Babylone). Aussi, plutôt que de voir les hommes abandonner d'eux-mêmes la construction de Babylone, "sa" cité, le Dragon préfère mettre fin brutalement au chantier ! Voilà l'absurdité du mystère du mal. En cela, et pour répondre à votre question, ce n'est pas effrayant : c'est tout simplement absurde !

 

 4. Vous avez résolu toutes les grandes énigmes de cette prophétie (y compris les plus mystérieuses, comme le "chiffre de la Bête" : le 666) ... Bien sûr, il n'est pas question que vous nous les dévoiliez ici ; ne serait-ce que parce que pour bien en comprendre la signification, il faut vraiment se plonger dans votre ouvrage, dans la spiritualité de votre texte ... Pourtant, en ne nous dévoilant rien, vous nous laissez dans le trouble, dans le doute ...

Oui. Je vais donc vous donner un exemple. Le chapitre 13 nous narre l’apparition et l’œuvre de deux Bêtes (toutes deux suscitées par le Dragon) : la Bête de la mer, d’abord, qui parvient à séduire les habitants de la terre ; la Bête de la terre ou Faux Prophète, ensuite, qui vient aider la Bête de la mer à affermir son pouvoir. Jean nous dit de cette seconde Bête qu’il « lui fut donné d’animer l’image de la Bête (de la mer), pour que l’image de la Bête parle et fasse en sorte que tous ceux qui ne se prosterneraient pas devant l’image de la Bête soient tués » (Ap 13.15). Quelle est donc cette image de la Bête ? Comment nous la figurer ? Beaucoup d’exégètes pensent aux statues des empereurs de Rome qu’on proposait à l’adoration des foules dans les temples impériaux. Et pour l’animation de l’image de la Bête, certains imaginent que le clergé de ces temples faisait bouger les statues lorsque les gens venaient se prosterner devant elles. Ce type d’explication historique n’est guère satisfaisant. Aussi d’autres commentateurs de l’Apocalypse ont-ils pensé à des symboles plus modernes : la télévision, internet, etc… Mais je trouve que toutes ces propositions sont un peu trop matérielles et techniques.

 En réalité, il est clair que st Jean veut nous entraîner dans une contemplation du mystère des ténèbres agissant dans le monde. La totalité de sa prophétie développe une vision d’ensemble très cohérente. En ce qui concerne l’image de la Bête, Jean nous précise encore : « Et elle fait que tous, les petits et les grands, et les riches et les pauvres, et les hommes libres et les esclaves, on leur mette une marque sur leur main droite ou sur leur front, pour que personne ne puisse acheter ou vendre, sinon celui qui a la marque, le nom de la Bête ou le chiffre de son nom » (Ap 13,16-17). Jean met explicitement en relation l’image de la Bête et le commerce. Or, dans l’Apocalypse, le commerce, c’est le monde dominé par Babylone ! On réalise de la sorte, que cette image de la Bête représente Babylone. Adorer l’image de la Bête, c’est devenir un habitant de Babylone, puisqu’on en partage désormais les valeurs. On comprend donc que la vocation de la Bête de la terre est de superviser la croissance de Babylone dans le monde. Cela fait d’elle une Bête très redoutable !